L'Ours. Histoire d'un roi déchu by Michel Pastoureau

L'Ours. Histoire d'un roi déchu by Michel Pastoureau

Auteur:Michel Pastoureau
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil


De la balourdise à la mélancolie

Le Moyen ge n’a pas inventé les jeux et spectacles mettant en scène des ours. Dans la Rome antique, nous l’avons vu, ceux-ci étaient fréquents, surtout à partir du dernier siècle de la République. Dans l’arène du cirque, les ours étaient pratiquement invincibles, surtout les ours gigantesques importés de Calédonie (Écosse), de Dalmatie et des Carpates. Ils ne combattaient pas entre eux mais contre des taureaux, des lions ou des gladiateurs spécialisés aidés de chiens. Hors de l’arène, de simples exhibitions remplaçaient les combats. Mais les ours ne s’y livraient nullement à des danses ou à des acrobaties, comme ils le feront à partir des XIIe-XIIIe siècles. Ils ne montaient pas non plus sur une estrade ou un escabeau mais restaient enfermés derrière des grilles ou bien isolés au fond d’une fosse. Le public romain venait voir des bêtes sauvages et dangereuses, remarquables par leur taille, leur force ou leur pelage, pas des animaux de foire. L’ours saltimbanque et forain est une création du christianisme médiéval.

De fait, ce sont des empereurs chrétiens qui les premiers ont limité puis supprimé les jeux du cirque, où, selon Tertullien, qui exagère quelque peu, on pouvait voir « des ours gavés de chair humaine et animale451 ». En 326, un édit de Constantin interdit les condamnations ad bestias, et en 404 l’empereur Honorius supprime toutes les pratiques de combat entre gladiateurs. Mais c’est à l’Église médiévale que l’on doit la suppression des affrontements d’animaux entre eux, conçus comme des spectacles452 : à partir du IXe siècle, elle prohibe toutes les formes de « jeux avec des ours453 » et ne tolère leur présence que dans les ménageries – et encore, avec certaines réticences. Même si ces interdictions doivent être maintes fois répétées avant d’être respectées, le prestige de l’ours en souffre : au fil des siècles et des décennies, il a de moins en moins l’occasion de montrer sa force et sa supériorité sur tous les animaux. Dans les arènes antiques, il venait à bout des autres fauves, y compris du lion, du moins en combat singulier. Mais, dans les églises et les abbayes médiévales, cette rivalité de l’ours et du lion n’est plus une rivalité physique ; c’est une opposition savante, livresque, iconographique et symbolique. À ce jeu, l’ours ne peut pas gagner puisque les clercs souhaitent la victoire du lion et usent de tous les moyens dont ils disposent pour la favoriser. Si le public de l’époque féodale avait vraiment eu l’occasion de voir s’affronter physiquement un ours et un lion, il est probable que l’ours aurait été vainqueur. Par là même, Brun occuperait le trône de Noble dans le Roman de Renart, et l’animal vedette du bestiaire héraldique ne serait pas le lion mais l’ours. En outre, aucun auteur n’oserait, tel Honorius dans son Elucidarium, laisser entendre que des lions peuvent dévorer des ours. Mais cela n’a pas été le cas, même si quelques chansons de geste et romans de chevalerie de la fin du XIIe siècle nous parlent encore d’un énigmatique jeu « des ours et des lions454 ».



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